La pochette de ce disque a beau être tour à tour intrigante, fascinante puis effrayante; elle n'en reste pas moins avare de commentaires... Surtout pour un daltonien comme moi. Car des caractères fuchsias placardés sur l'image violente et violette d'un corbeau écrasé; ça ne me laisse aucune chance de parvenir à déchiffrer les notes intérieures de pochette... Heureusement, un gros sticker rouge à peine vulgaire (style "vu sur RTL" de notre enfance) appliqué sur le film plastique protégeant le cd nous donne une indication vitale : "featuring all members of Midlake". Cette inscription suffit pour arracher le disque de son étalage et se ruer vers le caissier de cette grande surface où personne n'est fou (lire critique de l'album des Black Keys). On se posera la question de savoir qui est John Grant plus tard... Pour l'heure, avec Midlake aux commandes, on est sûr de ne pas être déçu... De fait, "Queen of Denmark" est une pure merveille qui dépasse de loin le pourtant remarquable "Courage of Others" sorti en ce début d'année. On se dit que la bande de Denton réussit là un joli doublé pour 2010...mais ce serait oublier de rendre justice au maître de maison de ce disque fabuleux : le mystérieux John Grant, donc.
Dans le genre "revenant que personne n'attendait", on a rarement fait mieux. John Grant fut, le temps de 5 albums, leader du groupe The Czars. Un honnête groupe de rock alternatif américain dont le meilleur souvenir reste pour moi la renversante reprise de "You don't know what love is" (un classique du répertoire jazz immortalisé par Chet Baker ou Ella Fitzgerald). C'est à cette époque qu'il fit la connaissance de Simon Raymonde (ex membre des Cocteau Twins) qui le signa lui et son groupe sur son label Bella Union.
Entre le dernier album des Czars (paru en 2005) et "Queen of Denmark", John Grant a connu une véritable descente aux enfers. L'alcool et la drogue le menerent à une déchéance dont il failli ne jamais sortir... C'était sans compter la bienveillance de l'ami Raymonde. Entretemps, ce dernier avait signé une joyeuse petite bande de Denton, Texas sur son label. Il pensa tout naturellement que Midlake serait le soutien nécessaire qui permettrait au talent de Grant de refaire surface. Le pari est gagné.
"Queen of Denmark" est un chef d'oeuvre de songwriting classieux. Quelquepart entre un Rufus Wainwright un peu moins folle (mais un peu folle tout de même...le titre de l'album en dit long sur son auteur) et un Anthony & the Johnsons moins apprêté.
Traversé de moments de grâce pure (la voix de soprano qui hante le titre d'ouverture) et de tristesse poignante ("Where Dreams go to Die", un morceau sur lequel tout le monde pleurera un jour ou l'autre); l'album sait aussi se faire plus pop et léger. John Grant parvient à rire de ses malheurs et à nous entraîner dans son humour ("I feel just like Sigourney Weaver/When she was killing all those aliens"). Des chansons comme "Jesus Hates Fagots" (Jesus déteste les pédés) ou des petites autocritiques cinglantes telles que "j'ai voulu changer le monde mais je n'ai même pas réussi à changer de sous vêtements" parviennent toujours à redresser la proue du navire lorsque le moral plonge dans les chaussettes...
Musicalement, il y a là tout le savoir faire de Midlake. Une parfaite maîtrise du songwriting tendance années septante. Les Inrocks disaient récemment qu'en écoutant ce disque, c'est un peu comme si "Elton John était un jour entré dans le corps de Neil Young". Je dis : pas mieux!
Ici aussi, pour contrebalancer des arrangements de corde vertigineux et des lignes de piano tristes; on entendra souvent des petits sons de claviers vintage qu'on croirait tout droit échappés du "Moon Safari" de Air.
Une réussite incontestable.
Et vive la reine !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire